Résumé
Igor Feodorovitch Stravinsky est né le 17 juin 1882 (5 juin selon l’ancien calendrier russe) à Orianenbaum en Russie, petite localité de villégiature située sur le Golfe de Finlande. Il passe sa jeunesse à Saint Pétersbourg, ville récente, dynamique et innovante. Son père, Feodor Ignatiévitch Stravinsky, première basse de l’opéra impérial et sa mère excellente pianiste sont des intellectuels strictes. Leur maison est ouverte à tous et leur exceptionnelle bibliothèque attire les artistes de l’époque. Igor grandit dans une atmosphère culturelle et se rend régulièrement au théâtre Mariinsky. Il apprécie la musique dès son plus jeune âge en entendant, pendant ses vacances à la campagne, les chants paysans russes qui influenceront ses premières compositions.
L’événement le plus marquant de son enfance est probablement d’avoir accompagné son père qui chante dans un opéra de Glinka. Il aperçoit la silhouette mélancolique de Tchaïkovsky ; il dira plus tard « son souvenir a renforcé ma volonté de devenir compositeur ». Il débute le piano à neuf ans. Les parents d’Igor ne souhaitent pas que leur fils devienne musicien et le dirigent vers des études de droit après ses études secondaires. A l’université, il rencontre Vladimir Rimsky-Korsakov, le fils cadet du célèbre compositeur. Grâce à ce nouvel ami, il peut présenter ses premiers essais au maître qui, décelant du talent chez le jeune homme, lui donne des leçons particulières d’harmonie et de contrepoint jusqu’à sa mort en 1908.
Après le décès de son père en 1902, Igor Stravinsky prend son indépendance et élargit le cercle de ses connaissances. Il côtoie des artistes tels que Claude Debussy, César Frank, Emmanuel Chabrier, Paul Dukas. Il termine ses études de droit en 1905 et épouse, l’année suivante, sa cousine Catherine Nossenko dont il aura quatre enfants.
Igor et Catherine se connaissent depuis leur enfance et ont de nombreux intérêts en commun. Catherine, fine musicienne, est une aide précieuse pour Igor. Véritable collaboratrice, elle relit et recopie fidèlement ses partitions.
En 1909, le directeur des Ballets Russes, Serge Diaghilev, découvre le Scherzo Fantastique et Feu d’Artifice. Sous le charme de ces œuvres, il incite Stravinsky à composer pour sa compagnie et pendant 20 ans restera son ami et impresario. Dans un premier temps, Diaghilev lui demande d’instrumenter le Nocturne et la Valse Brillante de Chopin. Il lui commande ensuite un ballet inspiré du conte russe de l’Oiseau de Feu, ballet créé en 1910 à l’Opéra de Paris, chorégraphié par Michel Fokine. La représentation est un triomphe et marque le début de la gloire pour Stravinsky qui n’a alors que 28 ans. Claude Debussy, Maurice Ravel, Florent Schmitt l’accueillent avec enthousiasme et à Paris, le jeune compositeur s’intègre à la société artistique de l’époque que fréquentent Picasso, Braque, Cocteau, Satie.
Le succès se confirme au Théâtre du Châtelet à Paris en 1911 avec un second ballet, Petrouchka, histoire de trois marionnettes auxquelles un magicien donne vie. Nijinsky, dans le rôle de Petrouchka, est extraordinaire. Diaghilev décide alors de lui confier la chorégraphie du Sacre du Printemps sur lequel travaille Stravinsky en compagnie de Nicolas Roerich. L’originalité de la musique et la chorégraphie peu conventionnelle (danseurs pieds rentrés et genoux pliés) déconcertent le public. La première du spectacle, le 29 mai 1913 dans le tout nouveau Théâtre des Champs-Elysées provoque un véritable scandale mais une nouvelle ère s’ouvre désormais dans l’histoire de la musique. L’œuvre est par la suite rapidement réhabilitée pour devenir l’une des pièces majeures du 20e siècle.
Avec la guerre, les activités des Ballets Russes se trouvent interrompues. Stravinsky s’exile en Suisse avec sa famille, pays qu’il connaît bien pour y avoir séjourné maintes fois. Le compositeur privé de tous ses biens par la révolution russe se construit une nouvelle vie, entouré de l’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz, du peintre René Auberjonois, du chef d’orchestre Ernest Ansermet.
L’organisation de spectacles de grande envergure devient impossible et il compose pendant cette période des œuvres ne nécessitant que des ressources limitées : Renard, l’Histoire du Soldat en collaboration avec Ramuz. Ils étudient également ensemble la version française de Noces. Au cours d’un voyage en Italie, en 1917, il se lie avec Picasso.
En 1919, Diaghilev propose à Stravinsky d’adapter une œuvre du compositeur italien du 18e siècle Pergolèse. C’est ainsi que Stravinsky travaille sur les manuscrits de Pulcinella, héros de la Commedia del’Arte, en collaboration avec Picasso pour les décors et Massine pour la chorégraphie. Après cette période, souvent dite « russe », cette œuvre marque le début de sa période dite « néo-classique ». En 1920, la famille Stravinsky s’installe en France où elle changera plusieurs fois de résidence jusqu’en 1939.
Les années de guerre finies, Stravinsky prépare un opéra-bouffe, Mavra, et à la demande de Diaghilev orchestre deux mouvements du ballet de Tchaïkovsky La Belle au Bois Dormant. C’est aussi à cette époque qu’il signe un contrat avec la maison Pleyel pour réaliser la transcription de ses œuvres sur piano mécanique. En 1924, incité par le chef d’orchestre russe Koussevitsky, Stravinsky débute sa carrière de chef et de pianiste ce qui exige de nombreuses heures de répétition.
1925 est l’année de sa première tournée aux Etats-Unis. Lors de son séjour américain, il passe un accord avec la maison de disque Columbia pour enregistrer une partie de ses œuvres : « Ce travail m’intéressa beaucoup car ici, bien plus qu’avec les rouleaux, j’avais la possibilité de préciser et fixer exactement mes intentions » (*). Attiré par les sujets antiques, il sollicite à son retour Jean Cocteau pour lui demander de collaborer à la création d’un opéra-oratorio, Oedipus-Rex.
Cette même année, Stravinsky reçoit la commande d’un ballet pour un festival de musique contemporaine ayant lieu à Washington D.C ; après Oedipus-Rex, il choisit à nouveau de s’inspirer d’un sujet en rapport avec l’antiquité grecque et retient le thème d’Apollon. Le rôle principal d’Apollon Musagète (Apollo) est confié à Serge Lifar.
La célèbre danseuse et mécène Ida Rubinstein lui passe commande d’un nouveau ballet : Le Baiser de la Fée, œuvre inspirée par la musique de Tchaïkovsky. En août 1929, la disparition de Diaghilev laisse un terrible vide dans la vie de Stravinsky.
Ce décès marque pour Igor la fin d’une longue amitié, faite de hauts et de bas mais empreinte d’un grand respect et d’une admiration mutuelle ; c’est aussi la fin d’une époque qui renforce pour Stravinsky la rupture avec sa Russie natale.
Retrouvant la foi de ses jeunes années, il revient vers la religion orthodoxe et compose trois œuvres religieuses dans les années 30, Symphonie de Psaumes (pour les 50 ans du Boston Symphony Orchestra), un Credo et un Ave Maria.
En 1931, Stravinsky rencontre le violoniste Samuel Dushkin avec qui il collaborera régulièrement. L’année suivante, à la demande d’Ida Rubinstein, il compose un ballet sur un poème d’André Gide. Les deux hommes se rencontrent et bien qu’ils aient du mal à s’accorder, leur collaboration aboutit à la création de Perséphone. Cette même année, lors d’un festival à Barcelone, Stravinsky présente pour la première fois au public son fils pianiste Soulima.
Igor Stravinsky devient citoyen français le 10 juin 1934. Il rédige les « Chroniques de ma vie » qui sont en partie éditées en 1935, année de sa seconde tournée américaine. Il se consacre à nouveau à la composition d’un ballet, Jeu de Cartes, chorégraphié par Balanchine pour l’American Ballet. La première a lieu au Metropolitan Opera de New York sous sa direction.
Igor Stravinsky traverse une période difficile de solitude et de tristesse, en perdant coup sur coup sa fille ainée Ludmilla et sa femme toutes deux atteintes de tuberculose, puis sa mère (1938/1939). Il se voit lui-même contraint de passer cinq mois dans un sanatorium en Suisse pendant lesquels il rédige ses cours sur la poétique musicale. Il est en effet appelé par l’Université de Harvard qui lui confie sa fameuse Chaire Poétique pour dispenser une série de conférences devant un heureux parterre d’étudiants.
Stravinsky émigre aux Etats-Unis en 1940, épouse en secondes noces Véra de Bosset et s’installe définitivement à Hollywood. Sa fille Milène et son fils Soulima s’établissent également en Amérique ; son fils ainé, Théodore, reste en Europe et vit en Suisse. Stravinsky adopte la nationalité américaine en 1945.
En Amérique, de nouveaux projets, parfois originaux, voient le jour. Stravinsky s’intéresse également beaucoup au jazz. Les Studios Disney lui empruntent des extraits du Sacre du Printemps pour leur dessin animé « Fantasia », le cirque Ringling Brothers Barnum & Bailey lui passe commande d’un ballet pour éléphants, Circus Polka, (1942), il compose Four Norvegian Moods (1942) pièces inspirées du folklore norvégien destinées à illustrer un film sur l’invasion de la Norvège (projet finalement non abouti).
Entre 1948 et 1951 Stravinsky compose un opéra en anglais, The Rake’s Progress, (La carrière du libertin) sa production la plus longue qui marque la fin de sa période néoclassique. La composition suivante, la Cantate, constitue une œuvre de transition entre sa période néoclassique et sa période sérielle. A partir de 1952, il se familiarise avec le sérialisme qu’il commence à utiliser.
En 1962 il est invité par l’URSS à l’occasion de ses 80 ans. Au terme d’une gigantesque tournée mondiale, il retourne triomphalement sur sa terre natale après 48 ans d’exil et se rend à Moscou puis Leningrad. Cette même année il est reçu pour un dîner à la Maison Blanche par Kennedy. Attristé par l’assassinat du président un an plus tard, il compose une petite œuvre très pure, Elegy for J. F. K. exécutée à New York sous sa direction pour le premier anniversaire de la mort de Kennedy.
De 1957 à 1967, soucieux d’assurer l’exécution exacte de ses œuvres, il entreprend un enregistrement quasi intégral de sa production avec la firme CBS. En 1967, il donne son dernier concert à Toronto. Stravinsky a 85 ans et sa santé commence à décliner. Il quitte sa maison de Hollywood en 1969 pour s’installer à New-York. En 1970 il entreprend un dernier voyage en Europe à Evian où il rencontre sa famille genevoise : son fils Théodore et son épouse, sa petite fille Catherine et fait la connaissance de son arrière petite-fille Marie. Sa nièce Xénia est spécialement venue de Russie, plus ou moins envoyée par le gouvernement qui souhaite un retour au pays du compositeur.
Après plusieurs hospitalisations, Stravinsky s’éteint à New York, le 6 avril 1971. Ses funérailles ont lieu le 15 avril à Venise.
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La création de Stravinsky a été d’une exceptionnelle longueur, s’étendant sur 60 années. Compositeur aussi prolifique qu’original, il a participé activement aux différents courants qui ont traversé son époque. Il est certainement l’un des plus grands compositeurs du 20e siècle, s’imposant par sa stature, sa faculté d’adaptation et son étonnante fécondité.
* Fondation Théodore Strawinsky, Genève.
Toutes utilisations ou reproductions interdites
Jeunesse: 1882-1902
Igor Stravinsky est né le 17 juin 1882 (5 juin d’après l’ancien calendrier grec) à Orianenbaum, ville de villégiature sur le golfe de Finlande où réside sa famille durant les vacances. Il est le troisième d’une famille de quatre garçons. Il passe son enfance à St Pétersbourg, canal Krioukov.
Son père, Féodor Stravinsky, d’origine polonaise, est une basse célèbre au répertoire exceptionnellement étendu de l’Opéra Impérial de Saint Pétersbourg. Igor a l’occasion de l’accompagner aux spectacles dans lesquels il se produit. Sa mère, Anna Kholodovsky, est une excellente pianiste.
Dès 1890, Igor suit des cours de piano et s’adonne volontiers à l’improvisation. Cependant, ses parents lui font entreprendre des études de droit ne voulant pas que leur fils devienne musicien malgré son incontestable vocation pour la musique.
C’est à l’université que Stravinsky rencontre Vladimir Rimsky-Korsakov, fils du célèbre compositeur alors en pleine gloire. Introduit auprès du maître, il devient par la suite son élève pendant six ans.
En 1902 son père décède et le jeune Igor prend son indépendance. Il fréquente désormais les groupes d’artistes d’avant-garde de Saint Pétersbourg.
La période Russe: 1902-1914
Lors de vacances à Bad Wildungen près de Heidelberg en 1902, Igor Stravinsky a l’occasion de rencontrer Nicolas Rimsky-Korsakov à qui il exprime son désir de devenir compositeur. Il lui présente ses premiers essais de composition et devient par la suite son élève. Il dira « Son savoir était précis (…), son enseignement entièrement technique »***. Après la mort de son père en novembre 1902, le jeune Igor rejoint le clan Rimsky-Korsakov qui devient une seconde famille. Il se fait de nouveaux amis. De 1905 à 1908, il étudie régulièrement l’orchestration avec son maître.
Dans cette Russie du début du XXe siècle où s’épanouit un brillant mouvement culturel, Igor fréquente assidûment les « Soirées de musique contemporaine ». Il y rencontre tous les compositeurs, poètes et artistes de Saint Pétersbourg. C’est là qu’il fait entendre ses premières œuvres. Stravinsky prend son indépendance, épouse en 1906 sa cousine Catherine Nossenko, a un fils en 1907 (Théodore) puis une fille en 1908 (Ludmila). Catherine apporte un soutien sans limite à son mari et l’encourage dans ses entreprises.
En 1907, il achève sa Symphonie en mi bémol majeur dont la forme et l’orchestration sont fortement influencées par Rimsky-Korsakov. La partition lui est d’ailleurs dédiée « A mon cher Maître Nicolas Andreïevitch Rimsky-Korsakov ». Alors qu’il travaille sur Feu d’Artifice, une fantaisie orchestrale prévue pour le mariage de la fille de Rimsky-Korsakov, il apprend la mort de celui-ci. Choqué et attristé par la nouvelle, il écrit un Chant Funèbre à sa mémoire. Il reprend ensuite Feu d’Artifice qui est créé le même soir que son Scherzo Fantastique le 6 février 1909 aux concerts Siloti. Cette soirée est déterminante pour la carrière de Stravinsky puisqu’il y est remarqué par un spectateur attentif: Serge Diaghilev. Le fondateur des célèbres « Ballets Russes » demande tout d’abord à Stravinsky d’orchestrer deux pièces de Chopin pour son ballet « Les Sylphides » créé à Paris le 2 juin 1909 au Théâtre du Châtelet.
Sa foi dans le jeune homme le conduit par la suite à lui commander un ballet: L’Oiseau de Feu. Stravinsky travaille avec le chorégraphe Michel Fokine. Leur collaboration est un succès. L’argument, simple, est extrait de contes russes. Le prince « Ivan Tsarévitch » capture un oiseau de feu qui lui remet une plume magique en échange de sa liberté. On sent encore l’influence de Rimsky-Korsakov dans la partition mais elle est marquée par un style personnel.
Stravinsky expérimente déjà de nouveaux procédés et l’on remarque une concordance de rythmes inhabituelle. La puissance de la danse finale laisse déjà entrevoir les futures violences du Sacre du Printemps. Le ballet est écrit pour un orchestre symphonique de grande dimension. La première représentation, le 25 juin 1910 à l’Opéra de Paris, conquiert les spectateurs et rend le jeune Stravinsky mondialement célèbre du jour au lendemain.
La gloire se confirme et s’amplifie le 15 juin de l’année suivante au Théâtre du Châtelet à Paris avec Petrouchka, second volet de la trilogie russe du compositeur. Ce nouveau ballet est un triomphe, dû à la nouveauté et à la qualité de la partition, mais aussi à l’inoubliable et émouvante interprétation de Vaclav Nijinsky. Petrouchka est un conte folklorique qui narre l’histoire d’une marionnette souffrant de n’être qu’un simple pantin qui ne peut exprimer son amour à l’égal d’un être humain. L’action se situe en 1830 à Saint Pétersbourg pendant les fêtes de mardi gras. La musique, par moments dissonante, illustre la douleur des sentiments. La partition pour un très grand orchestre possède une force extraordinaire. Stravinsky bouleverse l’univers ordonné et doctoral du classique. Le rythme, avec ses changements fréquents, est un élément primordial. « En composant cette musique, j’avais nettement la vision d’un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel à son tour lui réplique par des fanfares menaçantes ». **
Après ses premières tentatives dans L’Oiseau de Feu et Petrouchka, Stravinsky intensifie la brutalité rythmique de sa composition. Avec le Sacre du Printemps, le compositeur atteint son indépendance musicale. « J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen »**. Igor Stravinsky traduit cette vision en langage musical. Pour exprimer la sonorité païenne requise, Stravinsky utilise un orchestre important où dominent les percussions et les bois.
Le compositeur a conçu lui-même le livret avec le peintre Nicolas Roerich. Le spectacle se compose de « tableaux de la Russie païenne ». Dans l’acte 1, « l’adoration de la terre », les personnages se livrent à une danse pour glorifier le printemps qui s’annonce. Dans l’acte 2, « le sacrifice », une adolescente est choisie pour être livrée au dieu sous le regard des aïeux qui contemplent le sacrifice.
Ce ballet, l’une des plus audacieuses réalisations des « Ballets Russes », suscite un scandale retentissant lors de sa création le 29 mai 1913 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. La partition révolutionnaire de Stravinsky d’une part et la chorégraphie compliquée et déroutante de Nijinsky d’autre part, déclenchent dès les premières mesures la « bataille du Sacre ». Détracteurs et défenseurs de l’œuvre se déchaînent les uns contre les autres. Le Sacre du Printemps choque le public par son impression de chaos et sa rupture avec les critères conventionnels de la danse. La composition complexe et subtile avec des rythmes brusques impose une nouvelle conception de la musique. A la sortie du théâtre, Maurice Ravel déclare que c’est une œuvre de génie. Le Sacre est devenu un classique incontournable et constitue l’un des piliers de la musique du XXe siècle. Un nouvel esthétisme musical est né.
Cette première période de la vie du compositeur durant laquelle il fait preuve d’une remarquable énergie est celle de ses œuvres les plus célèbres.
« N’y a-t-il pas lieu de s’émerveiller, s’interroge son fils Théodore, de la stupéfiante vitalité créatrice dont fait preuve le jeune musicien de 30 ans ? Ne réalise-t-il pas en trois ans les trois chefs-d’œuvre qui vont le placer au faîte de la renommée ? Et cela en assumant les charges d’une famille qui vit dans une atmosphère de perpétuelle transhumance à laquelle s’ajoutent les multiples déplacements personnels… »
* © Fondation Théodore Strawinsky, Genève. Toutes utilisations ou reproductions interdites
** Chroniques de ma vie
*** Souvenirs et commentaires
**** Catherine et Igor Stravinsky : A Family Album
La période Suisse: 1914-1920
La première guerre mondiale provoque bien évidemment de profonds bouleversements dans la vie de Stravinsky. Après un bref séjour en Russie, juste avant le début du conflit, le compositeur se voit contraint de quitter sa patrie qu’il ne reverra qu’en 1962 en tant que citoyen américain. Igor Stravinsky fait le choix de s’installer en Suisse plutôt que de soumettre sa famille (désormais composée de quatre enfants) aux aléas d’une vie nomade. Il s’établit sur les rives du lac Léman où il a déjà séjourné à plusieurs reprises et où ses deux derniers enfants voient le jour (Soulima 1910 – Milène 1914).
La séparation d’avec son pays natal provoque chez Stravinsky l’envie, le besoin de puiser dans les thèmes folkloriques russes pour ses nouvelles compositions. Les recueils de chants populaires anciens ramenés de son dernier voyage à Kiev nourrissent une bonne partie de sa production suisse. Les deux œuvres les plus importantes sont Noces et Renard.
Commencée en 1914, Noces ne voit finalement le jour qu’en 1923 après un long travail d’instrumentation et maints remaniements. Il s’agit de scènes chorégraphiques avec chant et musique relatant un mariage paysan russe.
Renard est une commande de la princesse de Polignac composée entre 1915 et 1916. Stravinsky inaugure son théâtre de tréteaux ; danseurs et acrobates évoluent sur la scène. Toujours inspiré de contes russes, ce ballet met en scène un renard qui s’attaque à un coq en se déguisant en religieuse, puis en mendiante. Un chat et un bouc tentent de l’en empêcher et finissent par le tuer.
Plusieurs autres petites pièces, toujours imprégnées de tradition russe sont également composées, telles Pribaoutki chansons sur des textes populaires (1914), Berceuses du chat courtes histoires mises en musique où Stravinsky exploite les divers registres de la clarinette (1915/16), Quatre chants paysans russes (1914/17) chœurs a capella aussi composés sur des textes russes extraits du recueil d’Afanassiev.
Pendant cette période, de nouvelles amitiés se scellent qui jouent un rôle important dans la vie de Stravinsky : le chef d’orchestre Ernest Ansermet, les peintres René Auberjonois, Jean Morax, Alexandre Cingria, le poète Ramuz (avec qui il travaillera la version française de Renard et de Noces).
Innombrables sont les amis qui défilent sous le toit des Stravinsky. Le compositeur fait également connaissance de Picasso, André Gide et Prokofiev lors de ses nombreux voyages qui alternent avec sa vie de famille.
La situation politique affecte la compagnie des Ballets Russes de Diaghilev dont les activités sont interrompues. La révolution bolchevique de 1917 prive définitivement Stravinsky de sa fortune. Ne percevant plus de redevances de son éditeur russe, le compositeur se trouve désormais dans une situation matérielle précaire. Il doit continuer de composer pour vivre. C’est ainsi qu’il imagine avec son ami Ramuz, un nouveau spectacle : L’Histoire du Soldat. La guerre rend difficile l’organisation de représentations de grande envergure. Cette œuvre destinée à un théâtre ambulant est prévue pour un effectif réduit. Les deux amis partent du principe qu’elle sera donnée dans de petites salles. Bien qu’ayant auparavant connu la gloire des grandes scènes parisiennes, le compositeur apprécie l’exercice.
Dans ses « Souvenirs sur Stravinsky » Ramuz écrit « Nous nous étions dit Stravinsky et moi : pourquoi alors ne pas faire simple ? pourquoi ne pas écrire ensemble une pièce qui puisse se passer d’une grande salle, d’un vaste public ; une pièce dont la musique (…) ne comporterait que peu d’instruments et n’aurait que deux ou trois personnages ? ». L’instrumentation est sobre (7 instruments). Stravinsky puise son inspiration dans les spectacles de rue et de cirque et s’amuse à détourner des musiques en vogue à l’époque en faisant appel au ragtime, au tango, au jazz et à la valse. Il utilise les contes d’Afanassiev pour rédiger le livret. Un naïf soldat déserteur, détenteur d’un violon, cède son âme au diable. Ce texte écrit dans un style qui tient à la fois du poème et du conte n’est pas chanté mais parlé. L’œuvre est créée à Lausanne en septembre 1918 sous la baguette d’Ernest Ansermet.
D’autres œuvres influencées par le jazz suivront, notamment Ragtime pour 11 instruments (1918) et Piano Rag Music (1919), pièce dédiée à Arthur Rubinstein, qui poursuit l’exploration « satanique » du jazz, entreprise dans l’Histoire du Soldat et Ragtime.
Rapidement après la fin de la guerre, Diaghilev commence à relancer sa compagnie et prend contact avec Stravinsky. Leur rencontre est délicate car Diaghilev a du mal à accepter la nouvelle indépendance de son protégé et ce dernier est blessé par le manque d’intérêt de son impresario pour Renard et l’Histoire du Soldat.
Stravinsky est néanmoins séduit par l’idée de Diaghilev d’orchestrer plusieurs morceaux attribués au compositeur italien du 18e siècle Pergolèse pour en faire un ballet basé sur des personnages de la Commedia dell’arte. Pulcinella, composée à Morges entre 1919/1920, devient une œuvre moderne et le public est charmé. Ce ballet marque un tournant dans l’œuvre de Stravinsky et inaugure le style néoclassique du compositeur. Après avoir été influencé par le folklore russe puis par le jazz, Stravinsky découvre la musique du passé.
La guerre terminée, le brillant compositeur songe désormais à quitter la Suisse et à donner un nouvel essor à sa carrière. Après avoir songé à Rome, la famille Stravinsky transporte ses pénates à Paris.
* © Fondation Théodore Strawinsky, Genève.
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La période Française: 1920-1939
Après son exil en Suisse pendant la guerre, Stravinsky s’établit pour une vingtaine d’années en France où l’activité musicale est intense.
Le retour du compositeur sur la scène parisienne s’effectue le 15 mai 1920 avec la création de Pulcinella à l’Opéra. La période dite « néoclassique » de Stravinsky s’ouvre alors ; les œuvres qu’il compose sont caractérisées par un intérêt pour la musique des 17e et 18e siècles. Il renoue avec les formes musicales traditionnelles (concerto grosso, fugue, symphonie) et sa production prend un nouveau virage. Stravinsky abandonne les grands orchestres exigés naguère pour ses ballets, il utilise les instruments à vent, le piano et se tourne vers la musique de chambre ainsi que vers les œuvres vocales. Stravinsky devient l’un des instigateurs du Néoclassicisme, mouvement aussi adopté par d’autres compositeurs tels Darius Milhaud, Aaron Copland ou Serge Prokofiev. Il ne s’agit pas de retour pur au classicisme mais bien, comme l’indique le préfixe « néo », d’une nouvelle forme de la musique classique. Sa partition est construite selon des formes classiques mais elle porte nettement sa signature.
La famille Stravinsky s’installe sur la côte basque, à Biarritz, pendant un peu plus de trois années. Le compositeur y termine Noces, œuvre commencée en 1914, dans laquelle il cultive encore le folklore russe. Il renonce au gigantesque orchestre initialement prévu n’utilisant plus que quatre pianos et un ensemble de percussions. Cette ultime version (1923) soulève l’enthousiasme du public.
A cette même époque le fabricant de pianos français Pleyel signe un contrat avec Stravinsky et met à sa disposition un studio de travail. Le compositeur transcrit une partie de ses œuvres pour piano mécanique « Pleyela ». Cet accord est repris en 1924 par l’Aeolian Company à New York.
Lors d’une tournée en Europe avec Diaghilev un nouveau projet voit le jour entre les deux hommes ; un opéra dont le sujet est tiré d’une nouvelle de Pouchkine « La petite maison de Kolomna » ; ce sera Mavra, parodie d’opéra bouffe. La première représentation le 3 juin 1922 à Paris est un échec, le public ne comprenant pas l’évolution de Stravinsky. Face à la critique il écrit :
« On ne me verra pas sacrifier ce que j’aime et ce à quoi j’aspire pour satisfaire aux revendications de gens qui dans leur aveuglement, ne se doutent même pas qu’ils m’invitent simplement à faire marche-arrière. Qu’on le sache bien, ce qu’ils veulent est périmé pour moi et les suivre serait faire violence à moi-même. » **
Dès 1923, Stravinsky affirme donc son intérêt pour le style classique avec son Octuor pour instruments à vent. Il s’agit de la première œuvre importante non scénique du compositeur. Elle exige un nombre réduit de musiciens et l’usage du contrepoint nous renvoie à Bach. L’Octuor est la première d’une longue série de compositions instrumentales où ce procédé est cultivé. Les mélodies populaires russes sont abandonnées et Stravinsky élabore de nouveaux principes d’écriture se rattachant au langage musical de Bach.
Ces principes se retrouvent dans la composition qui suit, le Concerto pour piano et orchestre d’harmonie (appelé plus tard Concerto pour piano et instruments à vent) où les références à Bach sont exploitées de manière plus approfondie. Ce concerto adopte une découpe en trois mouvements selon le modèle classique.
A partir de 1921, Stravinsky se partage entre ses activités de compositeur, de chef d’orchestre et de virtuose. Incité par Koussevitsky il entame une carrière parallèle d’exécutant qui durera une quinzaine d’années. C’est ainsi qu’il effectue de nombreuses tournées à travers l’Europe en compagnie de son fils pianiste.
Il interprète entre autres sa Sonate pour piano dans laquelle on peut retrouver certains éléments de Beethoven comme il l’écrit dans ses chroniques « l’envie me vint au cours de mon travail d’examiner de plus près les sonates des maîtres classiques (….) à cette occasion je rejouais, entre autres, un grand nombre de sonates de Beethoven ».
Peu de temps après, début 1925, Stravinsky fait son premier voyage aux Etats-Unis où il signe un contrat en tant que chef d’orchestre et soliste pour une tournée de deux mois. Le public américain connaît déjà ses œuvres et lui réserve un accueil chaleureux.
Entre temps, le compositeur s’installe sur la côte d’Azur, à Nice (1924-1931) dont le climat est plus favorable à la santé de sa femme. Il continue ses tournées fréquentes à travers l’Europe en tant que chef d’orchestre.
Dédiée à son épouse Catherine, la Sérénade en la pour piano (1925) qui s’inspire librement des divertissements nocturnes du 17e siècle, est considérée par de nombreux critiques comme sa meilleure œuvre pour piano.
Stravinsky désire composer à nouveau une œuvre de grande envergure, sur un texte latin. La pièce de Sophocle, Oedipe, qu’il a particulièrement appréciée durant ses lectures de jeunesse, lui inspire un opéra-oratorio. Il fait appel à Jean Cocteau dont il admire l’adaptation d’Antigone, pour écrire le livret qui est par la suite traduit en latin par le Cardinal Daniélou. Oedipus Rex (1927) est une œuvre déroutante et austère ; ses personnages sont tels des statues limitant leurs mouvements au minimum. La musique se concentre sur l’aspect dramatique de l’histoire et intègre des formules de l’ère baroque en s’inspirant de Haendel. La première a lieu au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris le 30 mai 1927 pour honorer les 20 ans des Ballets Russes.
L’année 1928 marque le 35e anniversaire de la mort de Tchaïkovsky. Stravinsky choisit de lui rendre hommage avec une nouvelle partition Le Baiser de la fée, ballet commandé par Ida Rubinstein.
En 1930, Stravinsky rejoint l’Eglise orthodoxe russe et compose une œuvre religieuse la Symphonie de Psaumes, basée sur les textes bibliques. Ce sentiment religieux se fait également sentir dans ses ballets Apollon Musagète (1928) et Perséphone (1934).
Apollon Musagète (plus tard appelé Apollo) est le dernier ballet monté par Diaghilev un an avant sa mort et la dissolution de sa compagnie. Il s’agit d’un ballet classique dans lequel le compositeur célèbre l’apothéose des cordes. La réalisation de cette œuvre marque le début d’une collaboration étroite entre Stravinsky et le chorégraphe Georges Balanchine.
Perséphone, un mélodrame en trois parties qui s’inspire à nouveau de l’antiquité grecque, est le fruit d’une collaboration entre Stravinsky et André Gide composé pour la compagnie de ballet Ida Rubinstein. La relation entre les deux hommes est distante. Stravinsky choisit une liberté musicale par rapport au texte de Gide qui en aurait souhaité une approche différente. Ce texte confié à une récitante, un ténor et à un chœur (mixte et enfants) est accompagné par un grand orchestre dont le charme mélodique est incontestable.
En 1931, Stravinsky fait la rencontre du violoniste Samuel Dushkin avec qui il collabore pour composer entre autres un Concerto pour Violon commandé par le compositeur Blair Fairchild, suivi d’une sonate pour violon et piano, Duo Concertant.
Stravinsky s’installe à Paris en 1934 (après deux ans passé à Voreppe près de Grenoble) et acquiert la nationalité française. Son second fils Soulima entame une carrière de pianiste en interprétant les œuvres de son père. Ce dernier écrit alors le Concerto pour deux pianos seuls (1935) afin qu’ils puissent l’exécuter ensemble en public. En 1935, Stravinsky rédige, en français, son autobiographie sous le titre de « Chroniques de ma vie ».
Un nouveau ballet dont le scénario s’inspire d’une partie de poker, Jeu de Cartes succède à Perséphone. Il s’agit d’une œuvre de pur divertissement dans laquelle Stravinsky rend hommage à Rossini. La première représentation a lieu le 27 avril 1937 au Metropolitan Opera sous sa direction.
Au printemps de cette même année, il entreprend un concerto pour orchestre de chambre, commande de riches mécènes américains, Mr and Mrs Bliss, à l’occasion de leurs trente ans de mariage. Ce sera le Dumbarton Oaks Concerto achevé en 1938 qui prend comme modèle les concertos brandebourgeois de Bach. Il compose ensuite sa Symphonie en ut (1939) pour le 50e anniversaire du Chicago Symphony Orchestra.
La tuberculose frappe la famille de Stravinsky. Ses compositions sont interrompues par la mort de sa fille aînée Ludmila (novembre 1938), de sa femme Catherine (mars 1939) puis de sa mère Anna (juin 1939).
Nadia Boulanger l’informe alors que l’Université d’Harvard lui confie sa fameuse chaire poétique pour l’année 1939-1940 afin qu’il y donne une série de cours sur sa conception de la musique. Désemparé par les deuils subis au moment où éclate la seconde guerre mondiale, Stravinsky arrive aux Etats-Unis en septembre 1939.
Il restera en Amérique et ne reviendra pas vivre en France après la guerre.
* Fondation Théodore Strawinsky, Genève. Toutes utilisations ou reproductions interdites
** Message d’Igor Stravinsky
La période Américaine: 1939-1971
En septembre 1939, Igor Stravinsky quitte l’Europe pour les Etats-Unis afin d’assurer un cycle de conférences à l’Université d’Harvard. Elles sont par la suite publiées dans un ouvrage intitulé « Poétique Musicale » (1942) traduit en anglais sous le titre « Poetics of Music » (1947).
L’Amérique accueille le compositeur comme un hôte de prestige. Sollicité de toutes parts, Stravinsky décide de s’établir sur le nouveau continent. Il compose, dirige, enregistre, donne des conférences sans répit et continue de se produire dans le monde entier. Début 1940 il épouse en secondes noces Véra de Bosset. Il s’installe à Beverly Hills puis acquiert une villa à Hollywood, résidence où il se fixe enfin pour une longue période de vie. Il obtient la nationalité américaine en décembre 1945.
Il y avait pendant la guerre une vie culturelle intense à Los Angeles où de nombreux artistes et intellectuels expatriés s’étaient installés. Stravinsky se constitue un nouveau cercle d’amis. Il apprécie entre autres la compagnie d’écrivains anglais tels Aldous Huxley et Wystan Auden avec lequel il travaillera plus tard ainsi que le poète gallois Dylan Thomas. Les années d’après guerre sont sereines pour Stravinsky qui jouit désormais d’une bonne santé et n’a plus guère de soucis financiers.
En arrivant aux Etats-Unis, Stravinsky a déjà composé une partie de sa Symphonie en Ut qu’il achève en 1940. Produite par le Chicago Symphony Orchestra, c’est son œuvre symphonique la plus importante. Sa première composition américaine est Tango (1940), souvenir de séjours effectués au Mexique. En 1941 un arrangement de l’hymne américain The Star Spangled Banner pour chœur mixte et orchestre lui vaut d’être interpelé par la police lors de son exécution à Boston pour violation de la loi fédérale qui interdit de modifier l’hymne national.
Ayant trouvé des conditions de travail qui le satisfont, Stravinsky répond à de nombreuses demandes. Parmi les œuvres plus importantes produites figurent Danses Concertantes pour orchestre de chambre (1942) chorégraphiées par Georges Balanchine et Scènes de Ballet pour grand orchestre (1944) destinées à une revue de Broadway intitulée « The Seven Lively Arts ».
Il est aussi invité par un impresario de Hollywood à collaborer à une œuvre collective, « Genesis », pour laquelle il compose une cantate Babel (1944). Il écrit simultanément une œuvre charmante, sa Sonate pour deux pianos et Ode, chant élégiaque dédié à l’épouse du célèbre chef d’orchestre Koussevitzsky, fondateur des « Editions Russes de Musique » qui publia la plupart de ses œuvres de jeunesse. Stravinsky s’intéresse au jazz ; il compose Scherzo à la Russe pour ensemble de jazz en 1944 et l’année suivante Ebony Concerto, œuvre singulière pour l’orchestre de jazz de Woody Hermann. 1945 voit aussi naître l’un de ses chefs d’œuvre, la monumentale Symphonie en trois mouvements baptisée par certains « War Symphony », car profondément influencée par les événements de la seconde guerre mondiale.
Le chef d’orchestre suisse Paul Sacher lui commande une pièce pour orchestre à cordes afin de célébrer les vingt ans de l’Orchestre de Chambre de Bâle. En 1946, Stravinsky lui livre une composition plutôt « néo-classique », le Concerto en Ré. Cette œuvre très accessible sera plus tard reprise en ballet par Jérome Robbins dans « The Cage ». En 1947, il publie une nouvelle version de Pétrouchka après celle de l’Oiseau de Feu. Profitant de sa nationalité américaine pour sauvegarder ses droits d’auteur, il révise plusieurs de ses œuvres : Symphonie d’instruments à vent, Apollon Musagète, Oedipus Rex, Symphonie des Psaumes, Suite de Pulcinella, Divertimento, Capriccio, Perséphone, Concerto pour piano, le Baiser de la Fée, l’Octuor et le Rossignol.
Se sentant toujours attiré par la Grèce, Igor Stravinsky écrit un nouveau ballet en trois scènes commandé pour la Ballet Society, Orphée (1947), inspiré par l’ « Orféo » de Monteverdi puis une Messe créée sous la direction d’Ernest Ansermet en 1948 à la Scala de Milan. Il ne s’agit exceptionnellement pas d’une commande mais d’une œuvre dépouillée et austère composée spontanément, tel un acte de Foi.
A cette même époque, Stravinsky découvre une série de douze gravures du peintre anglais William Hogarth intitulée The Rake’s Progress (la carrière d’un libertin). Le sujet lui inspire son opéra du même nom. Il travaille alors pendant trois ans avec le poète Wysten Auden qui en rédige le livret. Le Rake’s Progress est un éblouissant exercice de style qui clôt sa période néo-classique. Le 11 septembre 1951, l’opéra est créé sous la direction de l’auteur au Théâtre de la Fenice à Venise et deviendra un succès mondial. Stravinsky qui n’était pas revenu en Europe depuis douze ans profite de ce voyage pour parcourir l’Europe.
En 1948, Stravinsky fait la rencontre d’un jeune chef d’orchestre, Robert Craft, qui devient son assistant. Dans les années 1950, face à l’impact des trois viennois Schönberg, Berg et Webern et sur les sollicitations de Craft, il prend un nouveau virage et change son langage musical.
Le compositeur s’oriente progressivement et courageusement à l’âge de 70 ans vers une écriture sérielle en se référant surtout à Anton Webern qu’il admire. Il fait avec prudence quelques essais avec la Cantate (1952) pour la Los-Angeles Chamber Symphony Society, le Septuor (1953) pour la Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Three Songs from William Shakespeare (1953) pour les concerts « Evenings on the Roof » de Los Angeles.
Très attaché à l’Italie et surtout à Venise, Stravinsky dédie sa nouvelle œuvre, Canticum Sacrum ad Honorum Sancti Marci Nominis, à cette ville et à son saint patron. Cette composition en partie sérielle est donnée en la Basilique St Marc lors du Festival International de Musique Contemporaine qui en a passé commande (septembre 1956).
C’est aussi à Venise que Stravinsky réserve sa première audition des Threni deux ans plus tard. Entièrement sériel, cet ouvrage austère et difficile d’accès est néanmoins une œuvre majeure et riche.
Entre 1953 et 1957, Stravinsky travaille avec Balanchine sur un ballet abstrait pour douze danseurs, Agon, partiellement inspiré de danses françaises de la Renaissance ; une importante partie de la musique est également dodécaphonique. Il s’agit d’une commande du New York City Ballet (fondé par Lincoln Kirstein et Balanchine) dont la création a lieu le 17 juin 1957 à Los-Angeles sous la baguette de Craft pour les 75 ans du compositeur. L’œuvre est portée à la scène le 1er décembre par le New York City Ballet. Stravinsky entreprend ensuite une gigantesque tournée mondiale et parcourt les cinq continents (1959/1961).
Stravinsky reçoit de Paul Sacher commande d’une cantate pour son Orchestre de Chambre de Bâle : A Sermon, A Narrative, A Prayer (1961) puis il compose un divertissement conçu pour la chaine de télévision C.B.S The Flood (le déluge) qui raconte l’histoire de Noé (1962).
Cette même année, il est reçu par les époux Kennedy pour un dîner donné en son honneur le 18 janvier. Un an plus tard, après l’assassinat du président des Etats-Unis, il compose Elegy for J.F.K sur un poème commandé à son ami Wysten Auden.
En 1962 toujours, Stravinsky accepte l’invitation de l’URSS à venir diriger sa propre musique à l’occasion de son 80e anniversaire. Après 48 ans d’absence, il est accueilli solennellement tel un chef d’Etat le 21 septembre à Moscou. Nikita Khrouchtchev en personne reçoit les Stravinsky au Kremlin au cours de leur séjour. Le 4 octobre le compositeur rejoint Saint Pétersbourg (alors devenu Léningrad). Pendant trois semaines, il donne des concerts, assiste à maintes représentations, effectue des activités touristiques, participe à des réceptions, à des déjeuners et dîners ; il reçoit de toutes parts un accueil chaleureux et cordial.
De retour aux Etats-Unis, toujours inspiré par les textes sacrés, il s’attèle à une nouvelle tâche, Abraham & Isaac, utilisant un texte en hébreu de la Genèse. Il est invité à assister à la première de l’œuvre en 1964 par le comité du Festival d’Israël qui en a passé commande. Le maire de la ville lui remet à cette occasion l’emblème doré de Jérusalem. En 1965, Stravinsky est également décoré par le Pape Jean XXIII lors d’un concert donné au Vatican. Le compositeur a déjà été honoré à maintes reprises : il reçoit la médaille d’or de la « Royal Philarmonic Society » de Londres en 1954, est élu à l’ « American Academy of Arts and Letters » en 1957, reçoit la « Sonnig Award », plus haute distinction musicale danoise en 1959, la médaille du « State Department » en 1962 et la médaille d’or Jean Sibélius de la Fondation Culturelle de Finlande en 1963.
Stravinsky compose sa dernière grande œuvre, les Requiem Canticles (1965/1966), commandés par l’Université de Princeton (New-Jersey). Cette œuvre abstraite d’une très grande rigueur créée en 1966 sous la direction de Robert Craft sera exécutée lors de ses funérailles cinq ans plus tard après le requiem d’Alessandro Scarlatti.
Sa dernière composition, The Owl and the Pussycat (1966) sur un poème d’Edward Lear, est dédiée à sa femme Véra. En 1967, Stravinsky dont la santé commence à décliner dirige son dernier concert en public à Toronto (Pulcinella). Il réalise également les derniers enregistrements de sa musique à New York. En 1968 et 1969, il travaille encore sur des arrangements d’œuvres d’autres compositeurs : des Lieders de Hugo Wolf et des variations chorales de J.S Bach.
En 1969, Stravinsky s’établit à New York. Après plusieurs séjours à l’hôpital il passe l’été 1970 à Evian où il reçoit la visite de sa famille européenne.
Stravinsky s’éteint le 6 avril 1971 dans son appartement de New York à l’âge de 88 ans. C’est en Italie, dans la noble cité de Venise, que ses obsèques ont lieu le 15 avril. Selon sa volonté, il est inhumé au cimetière San Michele, auprès de son ami et compagnon d’exil Serge Diaghilev qui le premier pressentit son génie et le révéla au monde.
* Photo Katya Chilingiri – katyachilingiri.com
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Interviews
Entrevue réalisée en mars 1945
Par Jean Baudet – Radio canada
(durée: 7’27)
En mars 1945, Igor Stravinsky vient diriger l’Orchestre philharmonique de Montréal pour l’interprétation de ses œuvres. La veille du concert, il accorde cette entrevue à Jean Beaudet, directeur musical de Radio-Canada.
Le compositeur nous parle entre autres de ses œuvres Scènes de Ballet, Circus Polka mais aussi de l’art du chef d’orchestre ou de l’influence des guerres sur l’art.
Entrevue réalisée en avril 1962 à Toronto
Par Maryvonne Kendergi – Radio canada
(durée: 7’17)
Dans cet entretien, Stravinsky nous fait part : de son opinion sur la justice et l’esprit de vengeance, de sa recherche liée à l’instrument et au timbre, de son approche face à la création, de ses œuvres religieuses et la prière qu’elles inspirent, de son utilisation des textes originaux dans ses œuvres, des facteurs qui influent sur ses interprétations, de la relation entre l’auditoire et l’œuvre musicale.
Stravinsky en répétition – 1947
Par William Malloch
(durée: 8’28)
En 1947, le musicologue William Malloch enregistre une répétition de la nouvelles version de la « Symphonie d’instruments à vents à la mémoire de Debussy » de Stravinsky. Malgré le son antique, ce document est exceptionnel.